Kaléidoscope

Autour du grand banquet siège une foule avide ; Mais bien des conviés laissent leur place vide Et se lèvent avant la fin (Victor Hugo, Fantômes)

J’arrive, je m’assois. Je regarde. Quatre visages se posent sur moi. Je sens déjà cet air étouffant. Je ne voulais pas venir, on m’y a obligé. Pas un mot, pas un bruit. Seul le vent claque contre cette fenêtre. Je m’assois, je regarde, j’ignore où je suis. Après avoir marché quelques heures dans cette ville inconnue, je suis à destination. Quatre visages regardent par terre, sans vie. Elle est à l’autre bout de la chambre. Pourquoi ne viens-tu pas ?  Elle lève la tête, me regarde. Une douce brise qui file lentement vers mon âme ; ouragan déchaîné qui m’enferme dans ma culpabilité. Je découvre ce globe envoûtant. Je souffle, béat, un air généreux dans son oreille. Je me ressource – L’euphorie est à son comble. Je consomme sous le regard de la lune, heureux. Une bénédiction. Muet, je me confie à l’infini et je prends la fuite – Je mesure combien l’homme peut être heureux sans rien. Ma respiration est lente. Je m’endors les yeux ouverts. La lourdeur de mes mouvements échappe aux invités. Un livre taché de vin attire mon attention. Paradis Artificiels. Malheureuse fatalité ! Un bruit grinçant. Toc, toc. Souviens-toi ! Vas-y, souviens-toi. Toc, toc. Verts ! Ils étaient verts, tâchés de noirs. Cette nuit-là, je l’avais vu, cette terre nouvelle. Je l’avais entendu. Toc, toc. Entre. Avance, avance. Non ! C’est moi qui dédale ! Je tombe, las, je tombe. Dans cette immensité profonde, inconnue, enfermé dans un souvenir, terrible. Symphonie. Attaque. Attaque mon cœur. Tue-moi ! Regarde-Moi. Regarde-Moi. Enfonce ton Iris dans mes entrailles ! Hallucination. Me revoilà. Rien n’a changé. Si. Dormir. Je veux dormir. Mais le réveil n’est jamais loin, il est dans les yeux. Ils sont innombrables. Seize, polyphonique, et je suis seul. Ils sont là, en personne, mais ils ne sont rien. Paroles vides, paroles à vide. C’est une ruse pour m’attirer dans une conversation qui n’a plus de sens. Inlassablement. C’est la fin. 16 minutes avant le début. Gong. Couloir abstrait. Paroles vides, paroles à vide. Une voix: petit homme. Te voilà de retour en enfance. Tu n’es plus, simplement ce corps enchaîné par ce regard inavoué, cet être, qui se définit par un simple mouvement, en haut, en bas, ouvert, fermé, parfois les deux en même temps, tu essayes de saisir cette lumière, cette obscurité, en un trait, ça t’es impossible, pas assez rapide, manque de vivacité, tu t’avoues vaincu, après tant d’années, tu as vu mais ta définition t’as perdu, ô malheureux vagabond, je prends, ici même, je prends ton âme, tu scandes mon nom, tu cries mon patronyme, rien n’y fera, je te prends, elle t’a pris, pendant un court instant s’est ouvert un paysage sublime, la forteresse de toutes les réponses, peut être bien une envolée lyrique, passé, présent, futur, tout était réuni dans ce vert, ô combien vert, dont tu as essayé de déterminer les branches, tu t’es baladé à travers les pierres et les montagnes, suis-moi, ne te retourne pas; tu resteras à jamais accablé.

Tout à coup, un concert de tambour débuta – et la soirée se conclut dans la tourmente, des larmes et des visages déphasés. Tout était réuni. Et les décombres, reliquats d’un temps qui ne m’avait jamais calmé.

Il avait fait une entrée remarquée. Non pas par sa présence, mais au contraire, par son air absent. Je l’avais toujours connu ainsi, il était là, et en même temps ailleurs. Doué pour faire culpabiliser les personnes avec qui il entretenait des relations particulièrement accablantes. L’art de créer des ambiances fantasmagoriques tout en s’inspirant de l’illusion la plus banale. J’étais l’une d’entre elle. Ses yeux braqués sur moi, fatigués et ardents à la fois. Je ne le regardais pas, je ne le regardais plus. Ce regard, qui raconte mille histoires dont nulle n’est réelle. Dont toutes sont une invention d’esprit. Ce regard qui ne contemple que l’invisible, l’impalpable – l’impossible. Il parle comme si de rien était; et comme si tout était l’un. Je me moque, comment m’en empêcher? Je persifle sa présence. Je gausse son absence. Ses yeux me déshabillent. Je suis à nu. Je suis pour lui, comme un livre ouvert, ou bien un paradis artificiel; une réalité, ou bien une vérité; l’incarnation du beau, ou bien l’impossible délicatesse; une douleur qui fascine, un plaisir qui tue. Je ne suis rien, si ce n’est tout – et je le sais. Et je le méprise. Et je l’aime. Et je me déteste. Je parle à untel, à l’autre et celui-là, dans ce couloir, les conversations vont de bon train. Quinze personnes et jamais à lui. C’est bientôt l’heure, tenons nous prêt. Une vie nouvelle au goût du passé. Me voilà retourné en enfance. Une voix: c’est Jean. Il fait une blague, on rigole.

Tout à coup, une chanson retentit – et la soirée se conclut calmement, des rires et des sourires. Tout était réuni. Et les décombres n’étaient plus que reliquat d’un temps qui ne m’avait jamais tourmenté.

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