Ici et ailleurs. Nulle part.

Rien n’empêche tant d’être naturel que l’envie de le paraître. (François de la Rouchefoucauld)

Tu ne dis rien, plus rien, tu regardes, tu vois. Sans commentaire. Les personnes autour de toi ne sont pas avares de mots. Je pense … non, c’est certain … Finalement, rien ne l’est – celui-ci est d’accord, l’autre ne l’est pas. Paris tristesse ? “album de qualité, la voix est superbe, les textes sont exceptionnels” ; “quel ennui”. La fin de soirée n’est pas plus reluisante. Personnes affables, non, affreuses. “Je suis socialiste… Dior j’adore”. Un beau bobo, ou plutôt un bonobo à en croire ses longues tirades sur ses multiples conquêtes, une, deux, trois, ça n’en finit pas, Clémentine, Aurore, Pauline, toutes existent et pourtant, elles ne représentent qu’un maigre souvenir, une histoire sans héros, l’aventure d’un soir qui se répète à l’infini, un schéma narratif redondant, bref, un récit médiocre, auquel, de surcroît, on ne peut pas échapper – le salon est bien trop petit et sa voix porte bien trop loin. Ta tête bourdonne en cette heure tardive ; tes yeux se ferment doucement.

Partir loin, être ailleurs ; être quelqu’un d’autre. Ils entrèrent dans la pièce, habillés comme tout un chacun, t-shirt noir, pantalon noir, chaussures noires. Monochromes. On les attendait. Eux,  qui avaient fourni tant d’efforts et qui avaient ébloui la galerie. Si jeunes mais si doués. Ils se dirigèrent vers le bar, une bouchée de ceci, une bouchée de cela. On engloutit et puis on discute. “Bravo, formidable, félicitations”. Remerciements. Humilité feinte. Au coin de l’œil on peut pourtant voir la fierté, qui s’exprimera par la suite sans dignité aucune. “C’en est trop des louanges. J’ai simplement laissé exprimer ma sensibilité”. Si jeunes. A la tête d’un empire des sens. Ils créent la mode et sont donc à l’origine de la vie. Se sentir Dieu – en étant pourtant que l’instrument d’un système qui les dépasse. Sensibles, c’est certain. Comme nous tous !? Probable. Qu’elle est alors la différence entre eux et le commun des mortels? L’argent. Bien sur! Une évidence. Finalement, ces deux prétendus artistes ne sont pas si différents de leur voisin de table. Ils ont un nez, deux jambes, et deux grandes oreilles. Cependant, ils sentent et en même temps ressentent. Ils regardent et en même temps voient. Et l’argent… Met en oeuvre leur regard. Infamie: Le bonobo quant à lui, va cesser de voir. Il va simplement regarder. Ingurgiter ce qu’on lui propose. Ça brille, ça brille de milles feux. Et il trouve cela magnifique, merveilleux. Il prend alors ce qui n’est pas à lui, et le fait prospérer comme sa propre création. Les prétentieux ne sont non plus les créateurs d’un art au sens noble du terme, mais plutôt les fabricants d’êtres plastiques; des reproductions qui fuient toute imagination et qui s’isolent le temps d’un défilé, pour retrouver par la suite leurs semblables. La foule n’est plus la solitude, non. Il s’agit de l’explosion logorrhéique du vide.

(J’ai toujours voulu être quelqu’un d’autre; ce garçon sensible et intelligent, cosmopolite et amoureux, ce Valentin timide qui exprime ses sentiments à travers des poèmes et des chansons. Faut-il pour cela être né ailleurs ? Quand on lit ces histoires, ou plutôt: ces reportages sur un tel, dont les parents se nomment ainsi, qui envoient leur enfant à Henri IV, à Louis le Grand, ces enfants qui font la rencontre des mêmes. Dix, vingt ans plus tard, l’un est président, l’autre est un auteur à succès et Marianne, elle, n’est qu’autre que la dernière créatrice en vogue. Ils se connaissent tous suite à une rencontre, ne serait-ce que fortuite, dans un établissement renommé. La coïncidence est en or. Et dans cet entremet sans surprise, qui somme nous, simple légume qui accompagne le plat principal ? Qui espère, si fort, de prospérer à leur côté ? Qu’il est simple d’être Voltaire lorsqu’on connaît Richelieu ou Frédéric II. Mais c’est peut-être le défi qui manque à ces grands penseurs et créateurs de notre société. Parce-ce que réussir, sans être en possession du nom (et du pécule qui va avec), est d’une difficulté toute autre. Réussir sans particule, c’est l’assurance d’un héritage qui dépasse l’entendement. Un de la Rochefoucauld a certainement contribué à l’histoire des idées et il se retrouvera certainement en exergue d’un article de Blog sans envergure, mais son nom ne resplendira jamais autant qu’un Baudelaire… authentique car sans prétention. Authentique, car dans l’imaginaire. Tandis que le premier reproduit dans ses maximes les codes de la cour du roi, l’autre s’évade un moment du sarcophage temporel qui est le sien – et il s’imagine être quelqu’un d’autre tout en étant lui-même.)

Alors, malins comme un renard, les publicitaires, à la recherche d’une correspondance quasi curative de notre propre mal-être, s’exclament: “Soyez authentique. Soyez vous-même. Rejoignez-nous”. Et au final, nous ne sommes jamais l’Un, et toujours l’autre. Et c’est ainsi que s’exprime la schizophrénie des temps modernes. Las du groupe qui fait de nous une réplique de l’autre; las de l’individu qui ne l’est qu’en apparence. La seule différence réelle n’est que perceptible à travers les lignes d’un monde imaginé et irréel, qui représente à la fois le néant et le tout. La seule différence qui existe entre les hommes n’est pas humaine.

Et le lendemain. Le terrible lendemain. Tu ouvres les yeux. Et tout cela te dépasse.

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