Nous les stars sommes la seule marchandise qui ait le droit de s’absenter, le soir, du magasin. (Ava Gardner)
La musique populaire, ou du moins cette société de divertissement produit une culture qui à son tour produit des acteurs qui sont en charge de véhiculer cette nouvelle idéologie de l’art. La star occupe alors une place de choix dans ce système. Alors que Roland Barthes préconisait en 1968 la mort de l’auteur, expliquant que « donner un auteur à un texte, c’est imposer à ce texte un cran d’arrêt, c’est le pouvoir d’un signifié dernier, c’est fermer l’écriture », on peut considérer l’auteur comme la marionnette suprême de l’industrie culturelle. En effet, toute musique légère se ressemblant si parfaitement, on peut rendre compte d’une préférence et d’une différentielle nouveauté qu’en invoquant la biographie personnelle de son auteur-compositeur. On crée ainsi une culture de la personnalité autour de ce personnage qui n’est au final qu’une figure imaginaire, ou, dans tous les cas, réifiée. Il n’y a par ailleurs plus aucune exigence qualitative : tout le monde peut être un chanteur du moment « qu’il a une voix », expression creuse, qui fait fi de toute virtuosité technique. La fonction de la musique disparaît au profit du seul matériau, c’est-à-dire de la seule voix, de la seule star. La recherche d’un talent répond alors à une logique interne de l’industrie culturelle qui absorbe et pilote toutes les recherches, et les talents que l’on présente ensuite dans les médias et les compétitions, que le consommateur doit alors s’appliquer à contempler pour choisir sa nouvelle star, sont finalement, en amont, des pures produits de ce système. Le consommateur de tube, qui pense avoir choisi personnellement et en toute liberté son artiste qu’il a décidé de suivre et de chérir – car en fait ce sont les médias qui proposent des produits, le consommateur n’est qu’un réceptacle – est désormais conforté dans son choix, dans la mesure où cet artiste est récompensé par ses « pairs » (d’autres produits) et par la masse. La héroïsation du médiocre appartient au culte de la complaisance. Les stars représentent alors deux choses : d’une part elles rappellent la population moyenne afin de dissimuler la distance qui existe entre eux et le consommateur moyen. Chacun doit pouvoir s’identifier à la star et ainsi espérer devenir lui-même un jour une star. D’autre part, les stars ne sont en fait que les artefacts des images publicitaires d’articles de marque. Ce n’est pas sans raison que les stars sont choisies parmi les mannequins commerciaux et répondent aux critères de la beauté d’usage, c’est-à-dire la beauté reconnue par le client. Plus le consommateur de tube est attiré dans ce cercle vicieux, moins il doit le sentir. On lui fait croire qu’il participe à un « art de consommer ». Le principe des stars, personnes érigées comme maîtres absolus de nos émotions, représente donc un danger, et on se rapproche d’une idée totalitaire dans la mesure où « Les réactions de l’auditoire semblent faire abstraction de tout rapport à l’exécution même de la musique pour ne plus répondre immédiatement qu’au succès précédemment accumulé ». Theodor Adorno ira même à comparer ce système d’industrie culturelle qui impose la starification des êtres humains au régime national-socialiste allemand. Assurément, le danger de la star provient, comme c’était le cas pour Hitler, du poids que la radio et les médias en général accordent à ses paroles. La star répond ainsi à un effet de mode : l’homme qui voit la star et le pouvoir qui l’entoure s’exclamera avec les paroles suivantes : « C’est formidable ». Exit la réflexion.