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Soi-même comme un autre

Il décida de marcher un moment, de prendre l’air, puis de s’attabler dans un café, non loin du divan du monde, rue des martyrs. La rue assourdissante autour de lui hurlait. Long, mince, visiblement en grand deuil, un homme d’une quarantaine d’année, effacé, s’assit à la table la plus proche. L’homme le fixa. Il se retourna, dans l’esporir que ce ne fût pas cet étrange individu qui le regarda. Puis tout à coup, celui-ci se leva, prêt à déclamer de terribles paroles. Contrairement à ce que tu crois, je ne suis pas seulement dans le négatif. Par contre tu ne vois que le noir et le blanc. Le milieu n’est, même pour un temps limité, jamais envisageable. Dommage. Et oui je sais que j’ai des mots assez durs. Mais toi, que m’as-tu toujours dit ? “C’est pas grave ; ce n’est pas pour autant que je ne t’aime plus” … Te souviens-tu ? Tu es incapable de comprendre que malgré tout, je t’aime profondément. Si tu ne veux pas me croire, que puis-je faire ? Et alors, pourquoi constamment chercher le conflit ? Tu es énervée, je peux le comprendre. Alors, si je voulais te voir ce week-end, c’était pour qu’on parle, oui, pour m’excuser, je voulais t’offrir quelque chose que tu aurais apprécié, ma façon de te dire pardon. Et je voulais te donner l’artefact de mon amour, en te montrant que j’ai chanté une ode à ton nom, que j’ai tenté de suivre le fleuve Léthé afin d’oublier que je suis amoureux de toi, que j’ai été tourmenté dans une tempête de neige, entre tristesse d’un amour incompris et d’une amitié reconquis et que finalement, j’ai révoqué mon passé. Si on s’était retrouvé après seulement deux semaines, tu m’en aurais voulu ; comme la dernière fois, ou on s’est revu après seulement quelques jours, et ta conclusion fût un incroyable affront : j’ai un problème et que je t’incommode. Désormais, si je reviens maintenant, tu m’expliquera que je suis trop présent ; si je reviens dans un mois ou deux, ce sera trop tard. Quoi que je fasse, tu m’en voudra. Donc oui, j’ai en effet essayé de reprendre contact. Tu ne le souhaites pas, ainsi soit-il. Nul besoin de prendre un ton insultant. Un jour tu m’as dit, que si je ne pouvais pas faire abstraction de mes sentiments, il vaudrait mieux qu’on ne se voit plus. J’y suis enfin parvenu. Mais apparemment tes paroles étaient vaines. C’est dur, d’avoir la femme qu’on aime en face de soit et qu’on ne puisse pas la toucher, ni l’embrasser ni lui dire qu’on aime. Peut être aurais-tu préféré que je te dise que je t’aime. Tu m’en aurais voulu? Certainement. Car je n’aurai plus été ton ami, mais un autre. J’ai voulu prendre mes distances. Je ne veux pas te perdre, tu es après tout, mon ami pour la vie. Mais si je ne me laisse pas le temps – et tu ne me laisse pas le temps – je serais ton ami, amoureux de toi, pour la vie! Ça ne marche pas. Alors au lieu de t’imposer cela, je me retire. Et c’est là qu’on retrouve toute cette réflexion du blanc ou du noir. Tandis que moi, je choisis la société multicolore Décides de me détester, de m’en vouloir à jamais. Mais c’est ton choix, et non le mien. Ah et n’hésite pas à me dire que j’ai tort. Écrit le, récite ton discours, je le lirais, je t’écouterais. On en est arrivé à un point, où il faut réapprendre à communiquer et à se parler. N’oublie pas que c’est toi qui m’a toujours encouragé à exprimer mes pensées, c’est grâce à toi que je le fait. Grace à ces moments passés dans ta chambre à simplement lorsque nous discutions de nous et du monde. C’est ton choix !

Sa voix tremblait. Je ne sus que dire. Cet homme était un parfait inconnu. Un être extravagant, pour ne pas dire empreint d’une profonde démence. Il ne savait pas où il se trouvait, ni à quelle époque. Il me regardait avec un œil livide, où germe l’ouragan. Je venais tout juste d’expérimenter l’homme de raison que me voilà confronté à l’homme irrationnel. Je sentis qu’une larme se déversait le long de mon visage. Un coup d’œil à gauche, un coup d’œil à droite, et je compris que j’étais seul à l’écouter, à le regarder. Comme si, pour une raison étrange, il n’existait pas. Pis encore, comme si cet homme était en réalité un autre. Tout aussi présent que le café que je tenais dans les mains, qu’absent de toutes les mondanités voisines. Et c’est alors que je compris. J’étais en présence non pas d’un être humain mais de l’incarnation d’une peinture mouvante, dont j’étais le reflet cinglant.

Ici et ailleurs. Nulle part.

Rien n’empêche tant d’être naturel que l’envie de le paraître. (François de la Rouchefoucauld)

Tu ne dis rien, plus rien, tu regardes, tu vois. Sans commentaire. Les personnes autour de toi ne sont pas avares de mots. Je pense … non, c’est certain … Finalement, rien ne l’est – celui-ci est d’accord, l’autre ne l’est pas. Paris tristesse ? “album de qualité, la voix est superbe, les textes sont exceptionnels” ; “quel ennui”. La fin de soirée n’est pas plus reluisante. Personnes affables, non, affreuses. “Je suis socialiste… Dior j’adore”. Un beau bobo, ou plutôt un bonobo à en croire ses longues tirades sur ses multiples conquêtes, une, deux, trois, ça n’en finit pas, Clémentine, Aurore, Pauline, toutes existent et pourtant, elles ne représentent qu’un maigre souvenir, une histoire sans héros, l’aventure d’un soir qui se répète à l’infini, un schéma narratif redondant, bref, un récit médiocre, auquel, de surcroît, on ne peut pas échapper – le salon est bien trop petit et sa voix porte bien trop loin. Ta tête bourdonne en cette heure tardive ; tes yeux se ferment doucement.

Partir loin, être ailleurs ; être quelqu’un d’autre. Ils entrèrent dans la pièce, habillés comme tout un chacun, t-shirt noir, pantalon noir, chaussures noires. Monochromes. On les attendait. Eux,  qui avaient fourni tant d’efforts et qui avaient ébloui la galerie. Si jeunes mais si doués. Ils se dirigèrent vers le bar, une bouchée de ceci, une bouchée de cela. On engloutit et puis on discute. “Bravo, formidable, félicitations”. Remerciements. Humilité feinte. Au coin de l’œil on peut pourtant voir la fierté, qui s’exprimera par la suite sans dignité aucune. “C’en est trop des louanges. J’ai simplement laissé exprimer ma sensibilité”. Si jeunes. A la tête d’un empire des sens. Ils créent la mode et sont donc à l’origine de la vie. Se sentir Dieu – en étant pourtant que l’instrument d’un système qui les dépasse. Sensibles, c’est certain. Comme nous tous !? Probable. Qu’elle est alors la différence entre eux et le commun des mortels? L’argent. Bien sur! Une évidence. Finalement, ces deux prétendus artistes ne sont pas si différents de leur voisin de table. Ils ont un nez, deux jambes, et deux grandes oreilles. Cependant, ils sentent et en même temps ressentent. Ils regardent et en même temps voient. Et l’argent… Met en oeuvre leur regard. Infamie: Le bonobo quant à lui, va cesser de voir. Il va simplement regarder. Ingurgiter ce qu’on lui propose. Ça brille, ça brille de milles feux. Et il trouve cela magnifique, merveilleux. Il prend alors ce qui n’est pas à lui, et le fait prospérer comme sa propre création. Les prétentieux ne sont non plus les créateurs d’un art au sens noble du terme, mais plutôt les fabricants d’êtres plastiques; des reproductions qui fuient toute imagination et qui s’isolent le temps d’un défilé, pour retrouver par la suite leurs semblables. La foule n’est plus la solitude, non. Il s’agit de l’explosion logorrhéique du vide.

(J’ai toujours voulu être quelqu’un d’autre; ce garçon sensible et intelligent, cosmopolite et amoureux, ce Valentin timide qui exprime ses sentiments à travers des poèmes et des chansons. Faut-il pour cela être né ailleurs ? Quand on lit ces histoires, ou plutôt: ces reportages sur un tel, dont les parents se nomment ainsi, qui envoient leur enfant à Henri IV, à Louis le Grand, ces enfants qui font la rencontre des mêmes. Dix, vingt ans plus tard, l’un est président, l’autre est un auteur à succès et Marianne, elle, n’est qu’autre que la dernière créatrice en vogue. Ils se connaissent tous suite à une rencontre, ne serait-ce que fortuite, dans un établissement renommé. La coïncidence est en or. Et dans cet entremet sans surprise, qui somme nous, simple légume qui accompagne le plat principal ? Qui espère, si fort, de prospérer à leur côté ? Qu’il est simple d’être Voltaire lorsqu’on connaît Richelieu ou Frédéric II. Mais c’est peut-être le défi qui manque à ces grands penseurs et créateurs de notre société. Parce-ce que réussir, sans être en possession du nom (et du pécule qui va avec), est d’une difficulté toute autre. Réussir sans particule, c’est l’assurance d’un héritage qui dépasse l’entendement. Un de la Rochefoucauld a certainement contribué à l’histoire des idées et il se retrouvera certainement en exergue d’un article de Blog sans envergure, mais son nom ne resplendira jamais autant qu’un Baudelaire… authentique car sans prétention. Authentique, car dans l’imaginaire. Tandis que le premier reproduit dans ses maximes les codes de la cour du roi, l’autre s’évade un moment du sarcophage temporel qui est le sien – et il s’imagine être quelqu’un d’autre tout en étant lui-même.)

Alors, malins comme un renard, les publicitaires, à la recherche d’une correspondance quasi curative de notre propre mal-être, s’exclament: “Soyez authentique. Soyez vous-même. Rejoignez-nous”. Et au final, nous ne sommes jamais l’Un, et toujours l’autre. Et c’est ainsi que s’exprime la schizophrénie des temps modernes. Las du groupe qui fait de nous une réplique de l’autre; las de l’individu qui ne l’est qu’en apparence. La seule différence réelle n’est que perceptible à travers les lignes d’un monde imaginé et irréel, qui représente à la fois le néant et le tout. La seule différence qui existe entre les hommes n’est pas humaine.

Et le lendemain. Le terrible lendemain. Tu ouvres les yeux. Et tout cela te dépasse.

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