Gleb Kolyadin — Self titled (23 février 2018)
Un album longuement attendu, en particulier dans la fraction « Kscope » de la scène post-progressive. Gleb Kolyadin, c’est d’abord le pianiste classique virtuose d’iamthemorning, duo de chamber prog néoclassique que j’ai découvert en 2016 avec leur très bel album concept « Lighthouse ». Le projet d’un album solo était alors déjà envisagé, et Gleb avait déjà sorti depuis quelques années plusieurs LP digitaux en libre écoute sous le pseudonyme de « Polonium Cubes » (que je vous encourage tout autant à découvrir). Une campagne de financement participatif avait même été lancée pour permettre au projet de voir le jour, mais que d’embûches pour y parvenir. Deux ans plus tard, la bête sort pourtant, fruit d’un travail colossal impliquant des guests non moins prestigieux que Gavin Harrison (King Crimson / Porcupine Tree), Nick Beggs (Steven Wilson), Steve Hogarth (Marillion), Jordan Rudess (Dream Theater) ou encore Daniel Cavanagh (Anathema). A découvrir sans tarder !
Wires — Hector Javier Ayala (27 février 2018)
Guitariste mexicain de formation classique, empruntant au jazz, au blues, à la musique psychédélique et à l’avant-garde, Hector s’est établi dans nos contrées depuis une dizaine d’années pour y prêcher « l’Évangile de la Guitare ». Il vit à Strasbourg où j’ai eu le plaisir de le rencontrer et de découvrir sa musique tout d’abord par le biais de son groupe The Post-Decadent Singers, qui pratique un post-jazz surprenant et assez corrosif rappelant de temps à autres John Zorn à notre bon souvenir. Dans cet album solo, il opte pour une esthétique plus épurée et simple, marquée par la présence de la seule guitare — une Telecaster que cet artiste protéiforme a lui-même fabriqué ! — dont nous suivons les évolutions au fil de mélodies organiques et roots prêtant à la rêverie. A noter un joli tribute aux Beatles et aux Stones, reprenant les thèmes d’Eleanor Rigby et de Paint It Black.
Tinavie — Terrua (20 avril 2018)
Un détour par l’univers de la pop alternative pour découvrir cette talentueuse artiste russe qu’est Tinavie. Quatrième album du groupe mené par la violoniste et chanteuse Valentina Manysheva, « Terrua » poursuit l’élan formidable de créativité sonore aux inspirations indie et dream pop entrepris depuis « Augenblick » (2010), couronné par la voix vibrante, à la fois grave et capable de délicats falsetti de la chanteuse et multi-instrumentiste. D’ordinaire très réticent à écouter de la musique en me concentrant sur une autre tâche, à cause de l’attention et de la tension (sans mauvais jeu de mot) qu’exige généralement la musique lorsqu’elle est sophistiquée et recherchée, je me suis surpris à pouvoir écouter sans problème cet album en travaillant, tout comme exclusivement comme un objet original où il se trouve toujours de nouvelles surprises, de nouvelles subtilités à découvrir. Avec une affection particulière pour les morceaux Strange Games et She Dances.
Father John Misty — God’s Favorite Customer (1er juin 2018)
Dans une veine bien différente, qui fricote plutôt avec l’indie, le dernier opus du padre a « capturé mon imagination » — pour angliciser plus que de coutume. On connaît déjà le personnage incarné par Joshua Tillman pour celui qui pratique un folk/rock indie planant et expressif, aux textes délicieusement provocateurs, gorgés d’ironie et de pessimisme quant au monde contemporain et à ceux qui le peuplent. Mais dans « God’s Favorite Customer », c’est dans une véritable descente aux enfers, où la persona et l’homme ont de plus en plus de peine à se rejoindre et à faire front devant les affres de l’existence, que nous sommes entraînés, avant d’accéder à une possible réconciliation. Au cynisme désabusé, plus prégnant dans les précédents opus, se substitue ici un lyrisme discret, plus introspectif, mais non moins lucide sur la précarité des relations humaines et de l’individu.
Stranger Fruit — Zeal & Ardor (18 juin 2018)
Le projet avant-garde unique de Manuel Gagneux remet le couvert cette année pour un deuxième album après le premier opus « Devil is Fine » très bien accueilli par l’underground. Pour re-situer, le concept de Zeal & Ardor répond, d’après les dires du leader lui-même, à une question simple : « Que se serait-il passé si les esclaves noirs américains avaient choisi Satan au lieu de Jésus ? » En termes musicaux, c’est le défi d’une rencontre entre black metal, negro spiritual, soul et blues, dont on peut dire que l’initiateur le relève haut la main : l’expressivité du chant bluesy, des chœurs gospel s’allie sans accroc au rance des screams black stridents, donnant naissance à un véritable « Gospel Noir ». Au premier opus faisant figure de coup d’essai succède un album plus complet, plus riche, et plus généreux en riffs énergiques et en grooves entraînants.
Jeremy Soule — The Northerner Diaries (5 juillet 2018)
Jeremy Soule est un compositeur que les adeptes du dixième art connaissent plus que certainement. De formation classique, il compte à son palmarès les bandes originales époustouflantes de la série The Elder’s Scrolls, de Neverwinter Nights, des adaptations Harry Potter ou encore de Guild Wars, et je me contenterai de dire qu’à l’écoute de ses travaux, on comprend pourquoi le jeu vidéo peut se hisser au rang d’art sans avoir à rougir. Et c’est avec « The Northerner Diaries », véritable périple musical construit sur le modèle de la symphonie classique, que le maestro prouve sa valeur au-delà des cadres de la musique à l’image. Atmosphérique et inspirante, sa musique évoque de grands panoramas, de vastes paysages, et explore les possibilités non seulement mélodiques mais aussi sonores de l’orchestre classique, ce qui le rapproche de ses influences aussi variées que Debussy, Wagner ou encore John Williams.
Sorcier des Glaces— Self titled (15 septembre 2018)
Non, le français n’est pas une langue passée de mode ou inadaptée à la musique d’aujourd’hui, et Sorcier des Glaces nous le prouve dans ce nouvel opus ! Le duo québécois de black metal atmosphérique, malgré un nom qui peut faire sourire les nostalgiques, propose un long morceau de 50 minutes alternant arpèges acoustiques et riffs âcres qui semble retentir dans l’obscurité et le froid de nos glaciers intérieurs. Pour être présenté comme « atmo », l’album n’en est pas moins diversifié, et même s’il se présente comme une longue piste, on peut compter sur une inventivité dans les riffs et les arrangements, ainsi qu’une variété rythmique (dans la limite, bien sûr, qu’offre le black).
Polyphia — New Levels New Devils (12 octobre 2018)
Les jeunes prodiges de Polyphia ne me sont connus que depuis peu, et pourtant j’ai tout de suite été intrigué à l’écoute de leur dernier single G.O.A.T. préfigurant « New Levels New Devils ». Je dis « jeunes prodiges », car à 25 ans à peine, ils tournent déjà avec des groupes comme Periphery ou Between the Buried and Me. En un mot, avec eux, c’est ma fibre progressive / math-rock qui se réveille : formation instrumentale à la « Animals as Leaders » mettant à l’honneur les guitares clean et lead virtuoses virevoltants sur des breaks polyrythmiques, Polyphia évite en effet tous les écueils que l’on déplore aujourd’hui sur les scènes math-rock et djent, et met en œuvre dans ce troisième opus de leur jeune carrière débutée en 2010 une musique ambitieuse, créative, originale, où la virtuosité instrumentale ne s’oppose pas au plaisir d’une écoute dilettante et désintéressée.
Riccardo Del Fra — Moving People (19 octobre 2018)
Je ne suis pas un grand connaisseur en jazz, mais cette année a été l’occasion pour moi de développer une curiosité pour ce genre qu’habituellement l’underground ne porte pas dans son cœur, et ce pour son côté relativement institué. Pourtant, c’est un univers extrêmement diversifié et florissant auquel on s’ouvre en découvrant vraiment cette culture, et pour des esprits abreuvés à la pop culture et au rock, c’est l’occasion notamment de réapprendre à écouter la musique autrement. « Moving People » du contrebassiste renommé Riccardo Del Fra marque mon retour à ce genre que je n’avais jusque alors qu’effleuré. Influencé par Chet Baker auquel il a consacré précédemment un album en guise d’hommage, Del Fra propose un jazz à l’américaine plutôt mélodique, où l’improvisation cède la place à une construction plus classique et à des thèmes plus structurés qui viennent agréablement cueillir le néophyte.
1914 — The Blind Leading The Blind (11 novembre 2018)
Quand j’ai appris l’existence d’un groupe de blackened death ayant produit un concept album sur le thème de la Première Guerre Mondiale, j’ai eu la première réaction typique du mélomane habitué à une scène constamment en recherche d’originalité, et qui se trouve prête à exploiter tous les thèmes possibles et imaginables où peut se déployer la pesanteur et la brutalité du genre (on a bien eu l’Empire Romain, la Guerre de Cent Ans, de façon moins glorieuse la Seconde Guerre Mondiale, alors pourquoi pas la Première ?). Pourtant, à l’écoute de la galette des ukrainiens de 1914 (sortie, pas si arbitrairement, le 11 novembre !), force est de constater que nous sommes en présence d’un bel opus qui s’efforce de nous conter l’histoire en musique, dans une esthétique flirtant un peu plus nettement avec le death, ainsi que des interludes contribuant au travail d’immersion et de reconstitution historique — sans parler des membres, désignés fictivement par leur régiment d’infanterie d’appartenance, et vêtus d’uniformes.